Antoine Petit : On ne peut pas apporter une réponse binaire. Pour moi, c’est un peu la même chose que si vous allez voir votre psychiatre, tenu par le secret professionnel. S’il se rend compte que vous être un serial killer, le secret professionnel tombe. C’est une question de limite. Mais il est très compliqué de la définir. Si les constructeurs informatiques se mettent à fournir les données de n’importe quel ordinateur que l’autorité policière aura saisi, on comprend bien que c’est la porte ouverte à tous les abus. À l’inverse, si vous savez qu’en ouvrant un ordinateur on peut mettre fin à Daesh... la seule solution est d’avoir une décision de justice, qui soit argumentée et contre laquelle on puisse plaider.
Mais en creux, l’affaire ne pose-t-elle pas la question du contrôle sur l’utilisation des technologies de chiffrement ?
Un gouvernement n’empêchera jamais un chercheur brillant de proposer en open source un logiciel de cryptage. Il n’est donc pas possible de contrôler ces technologies. Ou alors, on est dans un état policier et l’on empêche les gens d’avoir un certain nombre d’activités. On n'a pas le droit de construire une arme atomique. Mais il est plus difficile d'interdire du développement logiciel. En fait, c’est un problème éthique. Mais encore une fois, il n’y a pas de réponse simple oui/non dans l’affaire Apple-FBI.
L’Inria se pose-t-il ces questions éthiques ?
Nous avons un comité d’éthique, qui vérifie que les chercheurs ne veulent pas faire des choses qui soient contraires à la Loi. Par exemple, étudier votre comportement devant un ordinateur est intéressant. Si c’est fait avec votre consentement, pourquoi pas. Si on vous espionne, c’est une catastrophe. Autre exemple : de nombreuses publications sortent sur les mooc et ce qu’une société comme Coursera peut en tirer. Si, lors de la correction des copies le professeur peut regarder comment vous avez répondu à l’examen, hésité, corrigé choisi l’ordre des questions… vous n’avez pas forcément envie que cela entre en compte dans l’évaluation.
Mais, massivement, ces informations peuvent être riches d’enseignement, pour adapter les cursus par exemple ?
Cela pose la question de savoir ce qui relève des données personnelles et de ce qui relève des données collectives. Et, si l’on y réfléchit bien, le mot de désanonymisation est en lui-même un gag, car cela signifie qu’au départ ce n’est pas anonyme. Et un des dangers avec les données est que si on les recoupe, on peut en déduire des choses que vous n’avez pas envie de dévoiler. Sur ces questions l’Inria travaille notamment sur le droit à l’oubli et l’idée de délais d’effacement et d’obsolescence des données.
Vous êtes un nouveau membre du CNNum. Allez-vous y travailler sur ces sujets d’éthique ou de sécurité ?
Nous nous sommes réunis la première fois le 25 février pour faire connaissance et réaliser un premier tour de table des sujets. Il y en a beaucoup. Et rien n’est décidé. Mais le CNNum travaille sur l’enseignement du numérique. Et souhaite se positionner sur le sujet des PME.
Comment réagissez-vous quand Facebook vient ouvrir un laboratoire d’intelligence artificielle en France ?
On est ravi. D’abord parce que l’on est content de travailler avec les très bons de Facebook et d’avoir accès à des jeux de données sur lesquels tester nos algorithmes. Le choix de Facebook est aussi un signe de reconnaissance de notre excellence. On est ravis aussi parce qu’ils sont malins. Ils pourraient faire des offres que nos chercheurs ne pourraient pas refuser. Et ils pourraient nous prendre tous nos meilleurs dans le domaine. Mais, ils savent très bien que s’ils faisaient cela, ils couperaient la branche sur laquelle ils sont assis. Car ce sont les chercheurs d’aujourd’hui qui forment les chercheurs de demain.
Si vous enlevez tous les très bons du milieu universitaire, les étudiants ne viendront plus dans ce domaine-là. A moyen terme Facebook serait perdant, parce qu’il ne pourra pas recruter les talents dont il a besoin. Pour autant, nous réfléchissons à comment l’on peut coopérer avec eux, y compris au niveau individuel. Par exemple, Yann Le Cun, directeur du laboratoire IA de Facebook, est aussi à temps partiel à la New York University. Il faut qu’on arrive à créer ces doubles positions public-privé. Cela ne peut qu’accroître les synergies. On n’en est pas là. A quelques pas, une autre équipe est à fond sur la blockchain. Ce qui nous a frappés, explique Soukaina qui fait partie de l’équipe, c’est que parmi les étudiants autour de nous, tous n’étaient pas forcément intéressés ou au courant. Alors nous avons voulu créer une idée de business qui leur serve dans leur vie quotidienne. Sur un parcours en cinq étapes, où on trouve aussi bien de la vaisselle que des enveloppes kraft ou un jeu de cartes créé pour la journée, l’équipe a développé des services spécifiques. Par exemple, après une identification via la technologie blockchain, ils proposent une sorte de dossier en ligne pour étudiants recherchant appartement. En trois clics, la démonstration est concluante. A côté, on explique comment assurer son ordinateur de la même façon. Soukaina est impatiente d'avoir les réactions des vistieurs, pour adapter le produit et aller encore plus loin dans la démarche.
L’idée d’entreprise n’est pas encore mûre mais là n’est pas l’important. Les étudiants ont quelques semaines pour peaufiner leur projet. Interrogés sur cette formation, une des étudiantes s’enthousiasme : cela n’a rien à voir avec ce qu’on a fait avant. C’est un super format où on garde une grande autonomie. Créera-t-elle son entreprise dans la foulée. Elle n’en est pas sûre : ça dépendra des opportunités qu’on me proposera mais, assure-t-elle, les outils reçus nous serviront plus tard. J’en suis certaine. Y compris ce qui est attendu de la troisième partie de ce parcours initiatique : les étudiants doivent présenter un prototype et un business model. Des compétences qui intéresseront leurs futurs emplois, quels qu’ils soient.
TRIBUNE Depuis le 15 septembre 2016, les utilisateurs français de Snapchat peuvent accéder à du contenu issu des médias français sur Discover, la fonctionnalité de l'application au petit fantôme. Huit médias se sont lancés dans l'aventure, et pas forcément ceux qu'on attendait. Si Melty, Tastemade, Vice, Cosmopolitan et Kombini étaient attendus au tournant, ce n'était pas le cas du Monde, de l'Équipe, et de Paris Match. Dans le cadre des ateliers du Social Media Club, Aurélien Viers, responsable du pôle visuel à L'Obs, revient sur cette nouveauté dans le paysage médiatique français.
On sait qu'en France, Snapchat, c'est déjà le troisième réseau social, avec plus de huit millions d'utilisateurs. C'est donc normal que les grands médias s'y intéressent. La première constatation, c'est le haut niveau de qualité du contenu produit sur la plateforme. Derrière les comptes Discover, et on l'avait déjà constaté aux États-Unis, on trouve des grosses équipes dédiées, bien constituées, pluridisciplinaires, impliquant des vidéastes, des motion designers, des chefs de projet, des infographistes, des data analystes, et, bien sûr, des journalistes. Les médias ont bien compris que se lancer dans l'aventure Snapchat impliquait de staffer correctement les équipes dédiées.
Sur la pratique, il est intéressant de constater le retour à une approche assez classique : on retrouve un chemin de fer, une heure de bouclage pour sortir la story, bref, des choses qui nous ramènent un peu en arrière, au temps du print. Sur la forme, on redécouvre le plaisir de feuilleter un journal, grâce à la très bonne adéquation des formats avec le support. Pendant longtemps, les médias se sont contentés de reproduire des formats conçus pour ordinateur sur le mobile : on avait des photos en paysage qui fonctionnaient assez mal sur le mobile, et c'était pareil pour la vidéo. Là, le format et la navigation sont parfaitement adaptés au mobile : on est à la fois dans le swipe, comme sur un album photo, et dans la profondeur en scrollant vers le bas pour avoir plus d'info. L'avantage de ce type de formats, c'est qu'il permet une hybridation entre des formats très courts, comme un petit bonbon, qui peuvent être compris en cinq secondes, et des formats un peu plus long, plus narratifs.